07-08-2010

Louis Aragon (1887-1982)

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C’était un temps de solitude
O long carême des études
Où tout à son signe est réduit
Aux constellations la nuit
La vie affaire de mémoire
De chiffres blancs au tableau noir
Et lorsqu’on mourait à Viny
Moi j’apprenais l’anatomie

J’avais l’homme abstrait pour domaine
Or les récits des Téramène
Fallait-il deux fois qu’on les tue
Transformaient les morts en statues
De toujours les grands mots m’irritent
Et ces millions d’Hippolyte
Ils étaient sur leurs chars et moi
J’avais quatre-vingts francs par mois

Pardonnez-moi cette amertume
Mais l’âge d’aimer quand nous l’eûmes
Comme le regain sous la faux
Tout y sonnait morte et faux
Et qu’opposer sinon nos songes
Au pas triomphant du mensonge
Nous qui n’avions pour horizon
Qu’hypocrisie et trahison

La guerre on la voit à l’envers
Et vienne le troisième hiver
Petit verre des condamnés
Est-ce que c’est pour cette année
Le ciel déjà prend goût de terre
Puisqu’on est des morts sursitaire
Tous les calculs que nous ferons
Auront une balle en plein front

Comment croire ce qu’on enseigne
J’ai touché pourtant ce qui saigne
J’ai vu frémir j’ai dû fermer
De mes doigts des yeux bien-aimés
D’autres les ont à la taverne
J’eus moi mes vingt ans en caserne
Enfant maigre habillé de bleu
Rêvant beaucoup et mangeant peu

C’était le Paris de l’An Mille
Adieu ma vie adieu ma ville
Pont Alexandre pâle et beau
Le soir comme un vers de Rimbaud
Ma Tour au loin qui semble un air
Renouvelé d’Apollinaire
Se peut-il que je vous oublie
O palefreniers de Marly

J’ai laissé mon cœur à la traine
Dans les bosquets de Cour-la-Reine
Je ne vous reverrai jamais
Fleurir marronniers que j’aimais
Je pars et je vous abandonne
Longs quais de pierre sans personne
Veillant sur le fleuve profond
Où les désespérés s’en vont

Il paraît que je pars me battre
Adieu Paris mon grand théâtre
Adieu viaduc de Passy
Adieu tout ce qu’on voit d’ici
Les deux rives fuyant à l’amble
Ce qui se cache et ce qui tremble
Les jardins du Trocadéro
Et le ver luisant du métro

Le roman inachevé, Poésie n° 7, Gallimard, p. 50

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Publié par Jean dans Vacuité | RSS 2.0

Une Réponse à “Louis Aragon (1887-1982)”

  1. athisha - 01 dit :

    Nous sommes éternellement seuls, c’est la condition humaine, je crois, Victor Hugo disait, » La solitude est bonne aux grands esprits et mauvaise aux petits. La solitude trouble les cerveaux qu’elle n’illumine pas. »
    Joli blog où je repasserai !
    Athisha

    Dernière publication sur La chambre est traversée par le vent : Je change d'adresse...

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