12-05-2008
Henry David Thoreau : Walden ou la vie dans les bois
Je trouve salutaire d’être seul la plus grande partie du temps. Être en compagnie, fût-ce avec la meilleure, est vite fastidieux et dissipant. J’aime à être seul. Je n’ai jamais trouvé de compagnon aussi compagnon que la solitude. Nous sommes en général plus isolés lorsque nous sortons pour nous mêler aux hommes que lorsque nous restons au fond de nos appartements. Un homme pensant ou travaillant est toujours seul, qu’il soit où il voudra. La solitude ne se mesure pas aux milles d’étendue qui séparent un homme de ses semblables. L’étudiant réellement appliqué en l’une des ruches serrées de l’université de Cambridge est aussi solitaire qu’un derviche dans le désert. Le fermier peut travailler seul tout le jour dans le champ ou les bois, à sarcler ou fendre, et ne pas se sentir seul, parce qu’il est occupé ; mais lorsqu’il rentre le soir au logis, incapable de rester assis seul dans une pièce, à la merci de ses pensées, il lui faut être là où il peut « voir les gens », et se récréer, selon lui se récompenser de sa journée de solitude ; de là s’étonne-t-il que l’homme d’études puisse passer seul à la maison toute la nuit et la plus grande partie du jour, sans ennui, ni « papillons noirs » ; il ne se rend pas compte que l’homme d’études, quoique à la maison, est toutefois au travail dans son champ à lui, et à brandir la cognée dans ses bois à lui, comme le fermier dans les siens, pour à son tour rechercher la même récréation, la même société que fait l’autre, quoique ce puisse être sous une forme plus condensée.
La société est généralement trop médiocre. Nous nous rencontrons à de très courts intervalles, sans avoir eu le temps d’acquérir de nouvelle valeur l’un pour l’autre. Nous nous rencontrons aux repas trois fois par jour, pour nous donner réciproquement à re-goûter de ce vieux fromage moisi que nous sommes. Nous avons dû consentir un certain ensemble de règles, appelées étiquette et politesse, afin de rendre tolérable cette fréquente rencontre et n’avoir pas besoin d’en venir à la guerre ouverte. Nous nous rencontrons à la poste, à la récréation paroissiale et autour du foyer chaque soir ; nous vivons en paquet et sur le chemin l’un de l’autre, trébuchons l’un sur l’autre, et perdons ainsi, je crois, du respect de l’un pour l’autre. Moins de fréquence certainement suffirait pour toutes les communications importantes et cordiales. Voyez les jeunes filles dans une usine, — jamais seules, à peine en leurs rêves. Il serait mieux d’un seul habitant par mille carré, comme là où je vis. La valeur d’un homme n’est pas dans sa peau, pour que nous le touchions.
Publié par Jean dans Vacuité | RSS 2.0
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