28-07-2007
Scènes de la vie parisiennne, d’Honoré de Balzac
Le dernier mot du directeur de la Conciergerie au chef de la police de sûreté contenait la sombre histoire des condamnés à mort. Un homme que la justice a retranché du nombre des vivants appartient au Parquet. Le Parquet est souverain ; il ne dépend de personne, il ne relève que de sa conscience. La prison appartient au Parquet, il en est le maître absolu. La poésie s’est emparée de ce sujet social, éminemment propre à frapper les imaginations, le Condamné à mort! La poésie a été sublime, la prose n’a d’autre ressource que le réel, mais le réel est assez terrible comme il est pour pouvoir lutter avec le lyrisme. La vie du condamné à mort qui n’a pas avoué ses crimes ou ses complices est livrée à d’affreuses tortures. Il ne s’agit ici ni de brodequins qui brisent les pieds, ni d’eau ingurgitée dans l’estomac, ni de la distension des membres au moyen d’affreuses machines; mais d’une torture sournoise et pour ainsi dire négative. Le Parquet livre le condamné tout à lui-même, il le laisse dans le silence et dans les ténèbres, avec un compagnon (un moulon) dont il doit se défier.
L’aimable philanthropie moderne croit avoir deviné l’atroce supplice de l’isolement, elle se trompe. Depuis l’abolition de la torture, le Parquet, dans le désir bien naturel de rassurer les consciences déjà bien délicates des jurés, avait deviné les ressources terribles que la solitude donne à la justice contre le remords. La solitude, c’est le vide ; et la nature morale en a tout autant d’horreur que la nature physique. La solitude n’est habitable que pour l’homme de génie qui la remplit de ses idées, filles du monde spirituel, ou pour le contemplateur des œuvres divines qui la trouve illuminée par le jour du ciel, animée par le souille et par la voix de Dieu. Hormis ces deux hommes, si voisins du paradis, la solitude est à la torture ce que le moral est au physique. Entre la solitude et la torture il y a toute la différence de la maladie nerveuse à la maladie chirurgicale. C’est la souffrance multipliée par l’infini. Le corps touche à l’infini par le système nerveux, comme l’esprit y pénètre par la pensée. Aussi, dans les annales du Parquet de Paris, compte-t-on les criminels qui n’avouent pas.
68 III. LIVRE
Publié par Jean dans Vacuité | RSS 2.0
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