18-07-2007

La solitude à l’adolescence, Alain Braconnier

Docteur, y a t’il une solitude particulière à l’adolescence ?

La solitude de l’adolescent est une solitude nécessaire, normale, l’adolescent est un sujet qui n’est ni un enfant, ni encore un adulte. Il a besoin de représenter ses actions, ses décisions ses choix ses idéaux comme venant de lui et non plus comme venant de ses parents ou du monde des adultes. Ce travail, beaucoup plus compliqué, beaucoup plus profond qu’il n’y paraît, est un travail qui demande que le sujet se retourne vers lui-même, avec le sentiment qu’il peut par lui-même à la fois trouver ses solutions, et à la fois vivre ce que l’on appelle l’ennui et la morosité.

L’ennui et la morosité à l’adolescence, quand ce n’est pas excessif ou exagéré, c’est une raison de repli sur soi, une raison utile, positive de retour sur soi même, de rencontre avec soi-même, qui a pour but de se donner la force, se donner la conviction, la réflexion de ses choix personnels.

La solitude de l’adolescent est nécessaire

A un certain degré, la solitude est utile et même nécessaire à cette période de l’existence. Ce qui en fait la souffrance, la pathologie, est que cette solitude peut amener une rencontre avec lui-même, mais une rencontre avec du vide. Il rencontre quelque chose qui n’est pas suffisamment sécurisant pour lui permettre de se dire que, par lui même, il peut trouver des appuis qui ont été préparés dès l’enfance comme des appuis suffisamment solides qui lui donne le sentiment qu’il peut rencontrer l’autre sans méfiance, sans agressivité, sans haine, mais au contraire avec une certaine confiance, avec une certaine tranquillité qui fait monde extérieur est toujours une projection de son monde intérieur. Ce qui fait que si on n’a pas un monde intérieur suffisamment tranquille, suffisamment apaisé, dans une situation de difficulté, on va vivre des souffrances, des tensions qui vont amener paradoxalement des cercles vicieux qui ne font finalement que répéter les situations initiales.

Quelles sont les limites à une solitude que l’on pourrait qualifier de « normales »?

Les limites sont très claires : c’est quand l’individu ne peut que se retrouver en état de solitude, c’est quand il se retrouve en état de répétition. la pathologie, c’est de perdre sa liberté, c’est de ne pas pouvoir, dans une situation qui vous est proposée, trouver les moyens de s’adapter à cette situation et de faire en sorte que justement on change. La pathologie, c’est la répétition, c’est l’absence de changement, c’est même la résistance au changement.

Résistance qui n’est pas forcément consciente, qui est très souvent inconsciente, qui fait que la liberté que tout un chacun a quand il est suffisamment apaisé avec lui même et avec les autres, est une liberté que, hélas tout le monde n’a pas et qui fait que ceux qui ne l’on pas ne font que répéter les mêmes choses, les mêmes difficultés, les mêmes comportements. Et ce qui fait le paradoxe, c’est qu’il désirent que ça ne se répète pas. Mais, « ils se débrouillent » pour se remettredans les mêmes situations.

Comment situer cette solitude plus délicate ?

Derrière la solitude, il y a vraiment un enjeu affectif qui peut être présent comme quelque chose qui s’est joué dès l’enfance, très précocement, c’est à dire, à un moment où tout sujet humain ne devient petit à petit mâture que quand il devient adulte.

Un lien qui n’a jamais existé

Dans cette première enfance, on a vécu une insuffisance de liens. Quand je dis de lien, ça veut dire une insuffisance de protection, d’affection ce qui ne veut pas dire uniquement un accord. L’affection peut se manifester dans le refus, dans l’interdiction. Ce lien n’a pas eu lieu dans la toute première enfance.

Il y a une nostalgie fantastique qui peut se manifester très fortement chez certains, de ce lien qui n’a jamais existé. Ceux qui sont confrontés à la solitude, ceux qui souvent, sans en pendre conscience, implicitement, la reproduisent par leur propre attitude, parfois en recherchant un contact, mais dans le même temps, en refusant, ont souvent comme dynamisme interne, inconscient ,un besoin de rechercher le lien et, en même temps, avoir le sentiment qu’ils ne pourront jamais l’obtenir.

Cela peut être inscrit dans leur propre histoire qui fait qu’établir des liens avec les autres représente toujours un grand danger car on n’est jamais sûr de pourvoir être aimé et de pouvoir être accepter, parce qu’on l’a pas été, c’est cela qui fait que le poids de l’enfance dans cette problématique là peut déterminer la trajectoire d’un certain nombre de sujets. On reste toujours quelque part enfant.

L’aide que l’on peut leur procurer est de leur permettre d’établir des liens, sans que ces liens deviennent des liens qui soient très menacés, par le fait qu’ils seront dans leur mémoire comme ils se sont rompus ou comme ils n’ont pas existé quand ils étaient très jeunes enfants. Il faut que ces sujets retrouvent eux-mêmes une confiance dans l’autre qui fait qu’ils puissent se dégager de ce qui a pu les traumatiser dans leur enfance.

les jeunes solitaires semblent ne pas toujours avoir trouvé des mots appropriés, une expression , une verbalisation ?

Il y a au fond une manière de communiquer avec soi même qui est identique à celle de communiquer avec les autres il y a le langage, la parole. Il y a la parole interne, c’est à dire, la relation à soi même, penser avec soi, penser sur soi. On communique continuellement avec soi même. Il y a une communication qui passe par des modalités de communication qui sont éternelles, qui sont entre la communication directe avec l’autre et la communication avec soi même. C’est le théâtre, le dessin, la musique. C’est l’espace transitionnel, en psychanalyse : tout ce qui est entre l’autre et soi. Ce qui fait que lorsqu’on regarde un dessin, un pièce de théâtre, on a le sentiment à la fois qu’on s’y trouve et à la fois qu’on trouve l’autre, qu’on rencontre l’autre. A la fois, c’est soi et pas soi.

L’expression tout à la fois collectif, communautaire et en même temps très individuel. Elle est tout à fait transitionnelle. Cette manière de communiquer avec l’autre et en même temps à soi-même n’est pas vraiment une manière qui est directement de s’adresser à l’autre, mais pas non plus une manière que de s’adresser à soi même. C’est un champ d’expression qui a depuis tout temps une très grande utilité qui est source d’une dimension culturelle, elle se poursuit toute la vie, et on est au fond des petits enfants qui cherchent cet espace transitionnel.

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CRÉER DES SITUATIONS

Que peut-on faire pour aider l’adolescent en « solitude »?

Ce qui doit être proposé doit toujours être sur deux versants: à la fois sur le versant d’une proposition concrète d’une rencontre avec quelqu’un. On ne peut jamais présager de ce qu’une rencontre peut permettre, c’est pour ça que toute rencontre à mon avis positive. Vraiment, on ne sait pas au départ ce que va être une rencontre. Mais ce qui va permettre que les choses changent, c’est qu’il faut que s’y rajoute obligatoirement la possibilité que le sujet se représente que cette rencontre est différente de ce qui s’est passé jusqu’à maintenant. C’est un travail d’élaboration, de construction, de réflexion qui demande du temps qui demande du temps, qui n’a pas besoin d’être systématiquement une réflexion d’ordre philosophique ou psychanalytique, même si les ados ont parfois tendance à intellectualiser tout ça.

SE REPRÉSENTER QUE LA RENCONTRE EST DIFFÉRENTE

Mais en même temps, cela demande que ce qui fait que cette rencontre, à un moment ou un autre, va être la source d’une résistance, va buter sur quelque chose qui ne se passe plus comme ça se passait alors que l’on avait le sentiment que tout allais bien. Là, c’est un indice qui montre qu’il y a quelque chose de profond en soi de non résolu qu’il va falloir aborder avec le plus d’honnêteté ( sans allusion morale), le plus de conviction que nécessaire.

Nous, on le sait de notre place de spécialistes, par rapport à ce qu’on appelle le transfert. Le relation à une personne, même extérieure à sa vie, peut tout d’un coup devenir un véritable enjeu. Quand c’est un véritable enjeu, c’est une relation avec soi même qui est en train de se jouer. C’est ça le transfert. C’est le signe d’une résistance à sa propre relation à soi-même. On va dire que l’autre n’est pas à la hauteur de…, ne nous apporte pas ce qu’il faut parce que vis à vis de nous mêmes, on n’a pas confiance en soi. Et c’est ça qu’il faut essayer de favoriser dans l’expression, qui peut être orientée dans des moments de ce type. Ils disent : « Je préfère rester tout seul qu’aller avec les autres, ils sont tellement bêtes »? En disant ça, ils ont le sentiment que les autres sont bêtes mais inconsciemment, c’est une représentation d’eux mêmes qu’ils donnent.

Il faut les aider en leur disant :  » Est ce que ce n’est pas vous qui auraient un peu peur de rencontrer les autres parce que vous sentez que vous n’êtes pas à la hauteur ? « 
Parfois, ce sera vrai, d’autres fois, ce ne sera pas vrai, mais c’est bien de le dire.

Que peut on dire à un parent ou à un éducateur sur l’attitude à avoir par rapport à un enfant qui s’isole ?

Quand on est un adulte, on a nous-mêmes à prendre en compte nos propres résistances, même quand on est un professionnel ou un parent, au delà de son rôle. Quand on est en situation d’adulte, d’éducateur, on est dans un statut. Notre statut est de protection, de compréhension, d’éducateur, et même d’amour au sens positif du terme, à l’égard d’un enfant ou d’un adolescent. Quand on est dans ce statut, on est en même temps nous-mêmes, c’est à dire qu’on est toujours avec notre propre éventail, notre propre arc-en-ciel qui n’est pas illimité de possibilité, de réflexions, d’actions et de sentiments. Il faut essayer dans la mesure du possible de ne pas être au delà de ce qu’on peut faire.

L’ADOLESCENT NE SUPPORTE PAS LE MENSONGE

Il faut être vrai, il faut être soi même : car si on n’est pas soi-même, l’adolescent n’accepte pas le mensonge et la manipulation. Il ne peut être manipulé que si c’est en résonance totale avec lui même. Il faut être vrai soi-même en montrant ce qu’on peut et ce qu’on ne peut pas. Mais pour être vrai, il faut avoir le courage et le temps. Le temps est extrêmement important pour pourvoir exprimer les choses comme on a envie de les exprimer. Pour le montrer, il faut avoir du courage et le temps de pouvoir exprimer les choses telles qu’on a envie de les exprimer, il ne faut pas faire de psychodrame permanent!

Il ne faut pas être en crise permanente, il faut savoir dire les choses dans un moment où elles peuvent être un minimum entendues. Il ne faut pas le dire au moment où on se sent le plus pressé de les dire. C’est croire qu’en se soulageant de ce qu’on a à dire tout va aller mieux, ceci est faux. Dans le temps, dans l’élaboration, dans le fait que l’on peut reparler des choses. Il ne faut pas dire une chose à un adolescent, il faut le redire différemment. C’est comme ça que les choses se passent. Les procédés magiques ça ne marche pas

Propos recueillis par Ewa Kruk Granger

Publié par Jean dans Vacuité | RSS 2.0

15 Réponses à “La solitude à l’adolescence, Alain Braconnier”

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  1. peperpotte - 14 dit :

    Re-bonjour Jean!

    « peur de t’avoir heurté » : aucun rapport avec les photos (quand je dis « souvent ça déplaît », je parle d’une imagination et d’une fantaisie trop grandes que certains font rimer avec manque de sérieux alors que ça n’a aucun rapport); juste peur d’avoir très maladroitement appuyé là où ça fait mal alors que mon intention était à l’opposé!

    Bonne fin de journée!
    Peperpotte

  2. Juan dit :

    Bonjour peperpotte !

    Je me retiens parce que j’essaie de ne pas sortir du cadre que je me suis fixé. Si non je partirais dans les sens.

    Tu ne m’as pas heurté, je voulais simplement savoir ce qui te faisait penser ça ? Les photos ? La solitude est de la couleur de l’absente… ou de ce qui nous manque !

    Bonne journée !

    Dernière publication sur Iwazaru 言わざる : Prénom : Unibalde

  3. peperpotte - 13 dit :

    Bonjour Jean,

    mon imagination est comme ces chevaux fougueux qui galopaient ivres de liberté et ensemble sur les photos que je t’avais envoyées; souvent ça déplaît;
    J’espère ne pas t’avoir heurté par conséquent avec ma vision multicolore… c’était aussi ma façon de t’envoyer des couleurs vu que je n’ai pas de blog (c’est grave docteur de ne pas en avoir? -rire-)
    Simplement parce que ma façon de voir les choses est dans le « je reçois et je donne »aavec sincérité et spontanéité
    Désolée de donner peu en postant peu mais toujours des difficultés pour écrire. Enfin je vais de mieux en mieux.

    Et toi?

    « je me retiens pour mon blog » : pourquoi tu te retiens? N’est-ce pas justement parce que tu lâches la bride au contraire qu’il est si passionnant?
    peperpotte

  4. Cathy - 399 dit :

    Ah oui, peperpotte mais… c’est aussi  » le silence » de j Kelen du 31 aôut !

    Jean re-bonsoir

    Dans ma page « Cathy » , c’est super ! J’ai pris la dernière photo du petit garçon et l’ai mis sur mon blog… sourire…

  5. Juan dit :

    Bonsoir peperpotte

    Toujours autant d’imagination !

    Comment vas-tu ? Tu te fais si rare !

    A quand ton blog ?

    Je me retiens pour mon blog ! J’essaie d’y mettre ce qui me plait vraiment ou que je veux garder.

    La mienne est bleue ! Bleu comme les yeux d’une femme que je connais !

    Dernière publication sur Iwazaru 言わざる : Prénom : Unibalde

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